La fille de Michel et Stéphanie Fugain livre son témoignage sur les bouleversements engendrés par la mort de sa sœur Laurette en 2002, des suites d’une leucémie.
Une perte qui aura des retentissements dans sa propre vie de femme et au sein de la cellule familiale des Fugain.
Ecrit précieux d'une sœur endeuillée.
Je m'appelle Marie. Le 18 mai 2002 j'ai perdu ma petite soeur, Laurette, d'une leucémie. Elle avait vingt-deux ans, nous avions six ans d'écart. J'étais la grande, l'aînée, celle qui montre l'exemple. Celle qu'on copie, qu'on imite, qu'on adule.
Et pourtant, ce samedi 18 mai, elle ne m'a ni imitée ni copiée. Elle est partie. Elle a lâché prise. Elle m'a lâchée. À 20 h 20...
Sa dernière blague de petite soeur a été de me choisir, moi, comme témoin de son départ. Pour quitter ce monde qui la faisait tant souffrir depuis dix mois et six jours.
../. À l'hôpital, nous assurions une sorte de relais, ma mère, mon père et quelques-unes des meilleures amies de Laurette. Le plus acharné des relais.
Ce jour-là, c'était mon tour de la veiller. Nous venions de remonter du jardin de l'hôpital Saint-Louis avec Richard, mon mari. Une pause avec mes amies, celles de toujours qui étaient là pour moi. Un moment volé à la vie de Laurette pour tenter de reprendre des forces, de faire le plein d'énergies positives. Assises sur un bout de pelouse de l'hôpital, au milieu des voitures qui allaient et venaient - chargées de joie ou de peine, d'un avenir incertain ou de la naissance d'un espoir -, nous étions là, à parler, pour ne pas pleurer d'épuisement. Parler de n'importe qui, de n'importe quoi.
Avec le recul, je crois que je n'ai jamais été aussi superficielle dans ma conversation qu'à ce moment-là.
J'avais l'impression d'entendre sans comprendre des bribes de phrases qui s'envolaient comme des papillons au sortir de leur cocon. Seuls, perdus au milieu de la cour des miracles. Un grand flou qui n'avait rien d'artistique.
Le mot d'ordre avait toujours été de ne faire entrer dans la chambre que du positif, de la force, du soleil. Pour qu'elle sente que nous étions là, à ses côtés, sans jamais cesser d'y croire. Sans nous lamenter, sans avoir l'indécence de souffrir, d'être fatigué. Même après dix mois. Parce qu'un malade sent tout. Il vous voit et il sait. Il sait si vous êtes porteur d'une bonne nouvelle ou oiseau de malheur. Il devine vos angoisses, vos joies, vos douleurs même si celles-ci sont extérieures à son enfermement, à sa condition. Comme si, quand vous poussez la porte de sa chambre, le courant d'air provoqué par votre mouvement vous trahissait, laissant s'engouffrer avant vous dans la pièce confinée le parfum de vos ressentis... Les malades vivent dans une réalité qui n'est pas la nôtre. Étrangement, ils ont le recul de leur enfermement. Ils ne trichent pas, ils peuvent vous mentir, pour votre bien, mais ne se mentent jamais à eux-mêmes. Cloîtrés dans leur chambre, hypersensibles, ils sont réceptifs à toute émotion qui pénètre leur pièce, leur terrain de jeu.